25

 

Il n’engendra aucun enfant, mais le pays tout entier devint sa progéniture.

 

Description : 043

 

Vin avait le sommeil très léger – un héritage de sa jeunesse. Les bandes de voleurs travaillaient ensemble par nécessité, et toute personne incapable de surveiller ses propres possessions était considérée comme indigne d’en faire partie. Vin se trouvait, bien sûr, tout en bas de la hiérarchie – et bien qu’elle n’ait guère de biens à protéger, être une jeune fille dans un environnement principalement masculin lui donnait d’autres raisons d’avoir le sommeil léger.

Si bien que, lorsqu’elle s’éveilla au son d’un faible aboiement d’avertissement, elle réagit sans réfléchir. Elle rejeta ses couvertures, tendit immédiatement la main vers le flacon de son meuble de chevet. Elle ne dormait pas avec des métaux dans l’estomac ; de nombreux métaux allomantiques étaient toxiques dans une certaine mesure. Elle ne pouvait éviter totalement ce danger-là, mais on lui avait appris à brûler l’excédent de métaux à la fin de chaque journée.

Elle vida le contenu du flacon alors même qu’elle cherchait ses poignards d’obsidienne cachés sous son oreiller. La porte de sa chambre s’ouvrit et Tindwyl entra. La Terrisienne se figea en plein mouvement lorsqu’elle aperçut Vin accroupie sur le pied de lit à deux ou trois mètres d’elle, tendue, tandis que scintillaient ses poignards jumeaux.

Tindwyl haussa un sourcil.

— Vous êtes donc réveillée.

— À l’instant.

La Terrisienne sourit.

— Que faites-vous dans ma chambre ? demanda Vin d’un ton insistant.

— Je venais vous chercher. Je pensais que nous pouvions aller faire quelques courses.

— Des courses ?

— Oui, ma chère, répondit Tindwyl en allant ouvrit les rideaux. (Il était bien plus tôt que l’heure habituelle à laquelle Vin se réveillait.) J’ai cru comprendre que vous alliez rencontrer le père de Sa Majesté demain. Il vous faudra une robe adaptée à cette occasion, je suppose ?

— Je ne porte plus de robes.

Mais à quoi vous jouez ?

Tindwyl se retourna et mesura Vin du regard.

— Vous dormez tout habillée ?

Vin hocha la tête.

— Vous n’avez pas de dames d’honneur ?

Vin fit signe que non.

— Très bien, dans ce cas, dit Tindwyl en se détournant pour quitter la pièce. Allez vous baigner et vous changer. Nous partirons quand vous serez prête.

— Je ne reçois pas d’ordres de vous.

Tindwyl s’arrêta près de la porte et se retourna. Puis son visage s’adoucit.

— Je le sais bien, mon enfant. Vous pouvez m’accompagner si vous le souhaitez – la décision vous appartient. Cependant, tenez-vous vraiment à rencontrer Straff Venture en chemise et pantalon ?

Vin hésita.

— Venez au moins jeter un coup d’œil, ajouta Tindwyl. Ça vous aidera à vous changer les idées.

Vin acquiesça enfin. Tindwyl sourit de nouveau, puis sortit.

Vin regarda OreSeur, assis près de son lit.

— Merci de m’avoir prévenue.

Le kandra haussa les épaules.

 

À une époque, Vin aurait été incapable de s’imaginer vivre dans un endroit comme le Bastion Venture. La jeune Vin avait eu l’habitude des repaires cachés, des masures des skaa, et parfois des ruelles. Elle habitait à présent un bâtiment constellé de vitraux, cerné de robustes remparts et des voûtes imposantes.

Mais bien sûr, songea Vin en quittant l’escalier, il s’est produit beaucoup de choses que je n’aurais pas pu prévoir. Pourquoi penser à ça maintenant ?

Sa jeunesse passée parmi les bandes de voleurs lui revenait souvent à l’esprit ces temps-ci, et les commentaires de Zane – aussi ridicules soient-ils – la titillaient. Vin était-elle à sa place dans un endroit comme ce bastion ? Elle possédait de nombreux talents, mais peu d’entre eux étaient assortis à ces somptueux couloirs. Plutôt à… des ruelles tachées de cendres.

Elle soupira, progressant en compagnie d’OreSeur vers l’entrée sud où Tindwyl avait promis de l’attendre. Ici, le couloir devenait large et imposant, et s’ouvrait directement sur la cour. En règle générale, les carrosses pénétraient directement dans l’entrée pour venir chercher leurs passagers – évitant ainsi aux nobles d’être exposés aux éléments.

Tandis qu’elle approchait, son étain lui permettait d’entendre des voix. L’une d’entre elles appartenait à Tindwyl, l’autre…

— Je n’ai pas apporté grand-chose, déclara Allrianne. Seulement deux cents castelles. Mais j’ai tellement besoin de vêtements. Je ne peux pas survivre éternellement avec des robes d’emprunt !

Vin marqua une pause au moment de tourner vers la dernière partie du couloir.

— Le don du roi suffira certainement à payer une robe, ma chère, répondit Tindwyl, qui remarqua la présence de Vin. Ah, la voilà.

Un Spectre à l’air maussade tenait compagnie aux deux femmes. Il portait son uniforme de la garde du palais, mais avec la veste ouverte et sans ceinture au pantalon. Vin s’avança lentement.

— Je n’attendais pas de compagnie, dit-elle.

— La jeune Allrianne a été élevée en tant qu’aristocrate de la cour, expliqua Tindwyl. Elle est donc au courant des modes actuelles, et sera en mesure de vous conseiller dans vos achats.

— Et Spectre ?

Tindwyl se retourna pour mesurer le garçon du regard.

— Porteur.

Eh bien, se dit Vin, ça explique son humeur.

— Venez, l’enjoignit Tindwyl en se dirigeant vers la cour.

Allrianne s’empressa de la suivre d’un pas léger et gracieux. Vin regarda Spectre, qui haussa les épaules, et ils les suivirent à leur tour.

— Comment tu t’es retrouvé entraîné là-dedans ? chuchota Vin à Spectre.

— J’me suis levé trop tôt, je piquais à manger, marmonna-t-il. Et puis Madame Autoritaire m’a repéré, et elle m’a dit avec un sourire de chien-loup : « Nous aurons besoin de vos services cet après-midi, jeune homme. »

Vin hocha la tête.

— Reste sur le qui-vive et garde ton étain activé. Rappelle-toi qu’on est en guerre.

Spectre s’exécuta docilement. Vin, qui se tenait très près de lui, perçut et identifia aisément ses vibrations d’étain – ce qui signifiait qu’il n’était pas un espion.

Encore un à rayer de la liste, songea-t-elle. Au moins, cette excursion n’aura pas été totalement inutile.

Un carrosse les attendait devant les portes d’entrée à l’avant. Spectre monta près du cocher et les femmes s’entassèrent à l’arrière. Vin s’assit à l’intérieur et OreSeur s’installa sur le siège à côté d’elle. Allrianne et Tindwyl étaient assises en face d’elle, et Allrianne regarda OreSeur en plissant le nez.

— Cet animal est vraiment obligé de s’asseoir avec nous sur les sièges ?

— Oui, répondit Vin tandis que le véhicule se mettait en marche.

Allrianne attendait visiblement davantage d’explications, mais Vin ne lui en fournit aucune. Enfin, Allrianne se tourna pour regarder par la vitre.

— Vous êtes sûres que nous sommes en sécurité en ne voyageant qu’avec un serviteur, Tindwyl ?

Cette dernière regarda Vin.

— Oh, je crois que ça suffira.

— Ah oui, dit Allrianne en se retournant vers Vin, vous êtes allomancienne ! C’est vrai, ce qu’on raconte ?

— Quoi donc ? demanda calmement Vin.

— Eh bien par exemple, que vous avez tué le Seigneur Maître. Et que vous êtes un peu… hum… comment dire. (Allrianne se mordit la lèvre.) Eh bien, juste un peu à cran.

— À cran ?

— Et dangereuse, ajouta Allrianne. Mais ça ne peut pas être vrai. Enfin, je veux dire, vous allez faire des courses avec nous, n’est-ce pas ?

Est-ce qu’elle essaie de me provoquer volontairement ?

— Vous portez toujours ce genre de vêtements ? s’enquit Allrianne.

Vin portait son pantalon gris et sa chemise brun clair habituels.

— C’est plus facile de se battre comme ça.

— Oui, mais… comment dire. (Allrianne sourit.) J’imagine que c’est pour ça que nous sommes là aujourd’hui, n’est-ce pas, Tindwyl ?

— Oui, ma chère, répondit Tindwyl qui étudiait Vin depuis le début de la conversation.

Vous aimez ce que vous voyez ? songea Vin. Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Vous devez être l’aristocrate la plus étrange que j’aie rencontrée, déclara Allrianne. Vous avez grandi loin de la cour ? Moi oui, mais ma mère s’est efforcée de bien me former. Bien sûr, elle voulait simplement faire de moi un beau parti pour que mon père puisse me vendre aux enchères afin d’obtenir une alliance.

Elle sourit. Il y avait longtemps que Vin n’avait pas dû traiter avec ce genre de femme. Elle se rappelait les heures passées à la cour à incarner Valette Renoux avec le sourire. Souvent, quand elle repensait à cette époque, les mauvais souvenirs remontaient. Le mépris qu’elle avait subi de la part des membres de la cour, son propre inconfort dans ce rôle.

Mais il y avait eu aussi des aspects plus agréables. Elend en faisait partie. Elle ne l’aurait jamais rencontré si elle n’avait pas joué ce rôle d’aristocrate. Et les bals – avec leurs couleurs, leur musique et leurs robes – possédaient un certain charme enchanteur. La grâce des danseurs, les interactions prudentes, les salles parfaitement décorées…

Tout ça a disparu à présent, se dit-elle. On n’a pas de temps à perdre avec des bals et des rassemblements idiots alors que le dominat est au bord de l’effondrement.

Tindwyl l’observait toujours.

— Alors ? demanda Allrianne.

— Quoi ? rétorqua Vin.

— Vous avez grandi loin de la cour ?

— Je ne suis pas noble, Allrianne. Je suis une skaa.

Allrianne blêmit, puis rougit et leva les doigts vers ses lèvres.

— Oh ! Ma pauvre !

Les oreilles affinées de Vin perçurent un bruit tout près d’elle – un léger gloussement provenant d’OreSeur, si bas que seul un allomancien pouvait l’entendre.

Elle résista à l’impulsion de lui décocher un regard noir.

— Ce n’était pas si terrible, maugréa-t-elle.

— Mais dans ce cas, rien d’étonnant à ce que vous ne sachiez pas vous habiller ! s’exclama Allrianne.

— Mais si, je sais m’habiller, protesta Vin. Je possède même quelques robes.

Que je n’ai pas portées une seule fois depuis quelques mois…

Allrianne hocha la tête, bien qu’elle ne croie visiblement pas au commentaire de Vin.

— Brisou aussi est skaa, dit-elle plus calmement. Ou à moitié, en tout cas. C’est lui qui me l’a dit. C’est une bonne chose qu’il n’ait rien dit à mon père – il n’a jamais été très gentil avec les skaa.

Vin ne répondit pas.

Ils atteignirent enfin la rue Kenton où la foule gêna l’avancée du carrosse. Vin descendit la première et OreSeur bondit sur les pavés à ses côtés. La rue du marché était bondée, quoique moins encombrée que lors de son dernier passage. Vin étudia les prix dans les magasins tout proches tandis que les autres sortaient du véhicule.

Cinq castelles pour une caisse de pommes trop mûres, se dit-elle, contrariée. La nourriture commence déjà à se faire rare. Elend possédait heureusement des réserves. Mais combien de temps dureraient-elles avant le siège ? Certainement pas jusqu’à la fin de l’hiver imminent – alors qu’une grande quantité des céréales du dominat n’avait toujours pas été récoltée dans les plantations externes.

Le temps joue peut-être en notre faveur pour l’instant, songea Vin, mais il va finir par se retourner contre nous. Ils devaient pousser ces armées à se battre l’une contre l’autre. Autrement, les habitants de la ville risquaient de mourir de faim avant que les soldats tentent seulement de prendre les murs.

Spectre bondit au bas de la voiture et les rejoignit tandis que Tindwyl inspectait la rue. Vin observa la foule animée. Les gens s’efforçaient visiblement de vaquer à leurs occupations quotidiennes malgré la menace extérieure. Que pouvaient-ils faire d’autre ? Le siège durait déjà depuis des semaines. La vie devait continuer.

— Là, déclara Tindwyl en désignant la boutique d’un couturier.

Allrianne s’avança en gambadant. Tindwyl la suivit, marchant avec un sens des convenances modéré.

— Quelle impatiente, cette petite, vous ne trouvez pas ? demanda la Terrisienne.

Vin haussa les épaules. La blonde aristocrate avait déjà retenu l’attention de Spectre ; il la suivait d’un pas vif. Bien entendu, il n’était pas difficile d’attirer son regard. Il suffisait de posséder des seins et de sentir bon – la deuxième caractéristique étant parfois optionnelle.

Tindwyl sourit.

— Elle n’a sans doute pas eu l’occasion d’aller faire des courses depuis qu’elle est partie avec l’armée de son père il y a des semaines.

— À vous entendre, on croirait qu’elle a traversé une épreuve horrible, répondit Vin. Tout ça parce qu’elle ne pouvait pas aller faire d’emplettes.

— Visiblement, elle adore ça, dit Tindwyl. Vous devez bien pouvoir comprendre ce qu’on ressent quand on vous retire ce que vous adorez.

Vin haussa les épaules tandis qu’elles atteignaient la boutique.

— J’ai du mal à éprouver de la compassion pour une greluche de la cour qui a subi la tragédie de se voir privée de ses robes.

Tindwyl fronça légèrement les sourcils tandis qu’ils entraient dans la boutique et qu’OreSeur s’installait dehors pour les y attendre.

— Ne soyez pas si dure avec cette enfant. Elle est le fruit de son éducation, tout comme vous. Si vous jugez sa valeur à des frivolités, vous faites la même chose que ceux qui vous jugent sur la simplicité de vos habits.

— Mais j’aime quand les gens me jugent sur la simplicité de mes habits, répondit Vin. Dans ce cas-là, ils n’attendent pas grand-chose.

— Je vois, répondit Tindwyl. Mais alors, tout ça ne vous a pas manqué ?

Elle désigna l’intérieur de la boutique.

Vin hésita. La pièce débordait de couleurs et d’étoffes, de dentelle et de velours, de corsages et de jupes. Tout était imprégné d’un léger parfum. Alors qu’elle se tenait devant les mannequins aux couleurs vives, Vin se retrouva – un bref instant – de nouveau transportée aux bals. À l’époque où elle était Valette. Où elle avait une excuse pour être Valette.

— On raconte que vous avez apprécié la noble société, poursuivit Tindwyl sur un ton léger tout en s’avançant.

Allrianne se tenait déjà à l’avant de la pièce, passant les doigts le long d’un rouleau d’étoffe tout en conversant d’une voix assurée avec le couturier.

— Qui vous a dit ça ? demanda Vin.

Tindwyl se retourna vers elle.

— Eh bien, vos amis, ma chère. C’est très curieux – ils affirment que vous avez cessé de porter des robes quelques mois après la Chute. Ils se demandent tous pourquoi. Ils disent que vous paraissiez apprécier de vous habiller comme une femme, mais ils doivent se tromper.

— Non, répondit Vin tout bas. Ils ont raison.

Tindwyl haussa un sourcil et s’arrêta près d’un mannequin vêtu d’une robe d’un vert éclatant, agrémentée de dentelle, dont le bas s’ornait de plusieurs jupons.

Vin approcha pour inspecter cette splendide tenue.

— Je commençais à apprécier de m’habiller comme ça. C’était bien le problème.

— Je ne vois là aucun problème, ma chère.

Vin se détourna de la robe.

— Ce n’est pas moi. Ça ne l’a jamais été – c’était juste un rôle. Quand on porte une robe comme celle-ci, c’est trop facile d’oublier qui on est vraiment.

— Et ces robes ne peuvent pas faire partie de ce que vous êtes vraiment ?

Vin secoua la tête.

— Les robes font partie de ce qu’elle est, elle. (Elle montra Allrianne d’un signe de tête.) J’ai besoin d’être autre chose. Quelque chose de plus dur.

Je n’aurais jamais dû venir ici.

Tindwyl posa la main sur l’épaule de Vin.

— Pourquoi ne l’avez-vous pas épousé, mon enfant ?

Vin leva vivement les yeux.

— Qu’est-ce que c’est que cette question ?

— Une question franche, répondit Tindwyl.

Elle paraissait bien moins sévère que les autres fois que Vin l’avait rencontrée. Mais ces fois-là, bien sûr, elle s’adressait surtout à Elend.

— Ça ne vous regarde pas, dit Vin.

— Le roi m’a demandé de l’aider à améliorer son image, répondit Tindwyl. Et j’ai pris l’initiative d’aller bien plus loin – je veux faire de lui un vrai roi, si j’y parviens. Je crois qu’il possède un grand potentiel. Cependant, il ne s’en rendra pas compte tant qu’il n’aura pas un peu plus d’assurance face à certains éléments de sa vie. Vous en particulier.

— Je…

Vin ferma les yeux et se rappela sa demande en mariage. Cette nuit-là, sur le balcon, tandis que de la cendre tombait légèrement dans la nuit. Elle se rappela sa terreur. Elle savait alors, bien entendu, où se dirigeait cette relation. Pourquoi avait-elle eu si peur ?

C’était ce jour-là qu’elle avait cessé de porter des robes.

— Il n’aurait pas dû me le demander, souffla Vin tout bas en ouvrant les yeux. Il ne peut pas m’épouser.

— Il vous aime, mon enfant, répondit Tindwyl. D’une certaine façon, c’est malheureux – ce serait bien plus facile s’il pouvait avoir de tout autres sentiments. Toutefois, en l’état actuel des choses…

Vin secoua la tête.

— Je ne suis pas la femme qu’il lui faut.

— Ah, répondit Tindwyl. Je vois.

— Il a besoin d’autre chose, ajouta Vin. De quelque chose de mieux. Une femme qui puisse être une reine, pas juste un garde du corps. Quelqu’un… (L’estomac de Vin se noua.) Qui soit un peu plus comme elle.

Tindwyl regarda Allrianne, qui riait d’un commentaire formulé par le couturier plus âgé occupé à prendre ses mesures.

— C’est de vous qu’il est tombé amoureux, mon enfant, dit Tindwyl.

— Quand je faisais semblant d’être comme elle.

Tindwyl sourit.

— D’une certaine façon, je doute que vous puissiez ressembler à Allrianne, malgré tous vos efforts.

— Peut-être, répondit Vin. Mais quoi qu’il en soit, c’est mon rôle à la cour qu’il aimait. Il ne savait pas qui j’étais vraiment.

— Et il vous a abandonnée, maintenant qu’il le sait ?

— Eh bien non. Mais…

— Les gens sont plus complexes qu’ils n’y paraissent au premier abord, déclara Tindwyl. Allrianne, par exemple, est jeune et enthousiaste – quoiqu’elle ne mâche peut-être pas assez ses mots. Mais elle en sait davantage sur la cour que la plupart des gens ne s’y attendent, et elle semble capable de reconnaître ce qu’il y a de bon en chacun. Un talent qui fait défaut à beaucoup de gens.

» Votre roi est un érudit et penseur très humble, mais il a la volonté d’un guerrier. C’est un homme qui a le cran de se battre et je crois que vous n’avez – peut-être – pas encore vu de quoi il est vraiment capable. Brise l’Apaiseur est un homme cynique et moqueur – jusqu’à ce qu’il regarde la jeune Allrianne. Alors il s’adoucit, et l’on se demande dans quelle mesure son insouciance et sa sévérité sont une façade.

Tindwyl s’interrompit et se tourna vers Vin.

— Et vous. Vous valez bien plus que vous n’êtes prête à l’accepter, mon enfant. Pourquoi vous arrêter à un seul aspect de vous-même, alors que votre Elend voit tellement plus loin ?

— Alors c’est ça ? demanda Vin. Vous essayez de me transformer en reine pour Elend ?

— Non, mon enfant, répondit Tindwyl. Je souhaite vous aider à vous transformer en ce que vous êtes, quoi que ça puisse bien être. Maintenant, allez faire prendre vos mensurations par cet homme afin de pouvoir essayer des modèles d’exposition.

Ce que je suis ? songea Vin, pensive. Cependant, elle laissa la grande Terrisienne la pousser vers le vieux couturier, qui entreprit de la mesurer à l’aide de son mètre à ruban.

Quelques instants et une cabine d’essayage plus tard, Vin émergea dans la pièce vêtue d’un souvenir. La robe de soie bleue, ornée de dentelle blanche, était serrée au niveau de la taille et du buste mais évasée en bas. Les nombreux jupons lui donnaient une forme triangulaire qui lui masquait totalement les pieds, tandis que l’ourlet frôlait le sol.

Elle était affreusement peu pratique. Elle bruissait quand Vin se déplaçait, et celle-ci devait alors prendre grand soin de ne pas la laisser s’accrocher ou frôler une surface sale. Mais la robe était superbe, et lui donnait l’impression de l’être aussi. Elle s’attendait presque à entendre un orchestre se mettre à jouer, à sentir la présence de Sazed posté dans son dos telle une sentinelle, et de voir apparaître Elend au loin, en train de se prélasser et de regarder danser les couples tout en feuilletant un livre.

Vin s’avança, laissant le couturier regarder où la robe serrait ou bâillait, et Allrianne poussa un « Oooh » en l’apercevant. Le vieux couturier, s’appuyant sur sa canne, dictait des notes à un jeune assistant.

— Déplacez-vous encore un peu, milady, demanda-t-il. Montrez-moi comment elle tombe quand vous ne vous contentez pas de marcher en ligne droite.

Vin tournoya légèrement sur un pied, s’efforçant de se rappeler les pas de danse que Sazed lui avait enseignés.

Je n’ai jamais eu l’occasion de danser avec Elend, s’aperçut-elle en faisant un pas de côté, comme au son d’une musique qu’elle ne se rappelait que vaguement. Il trouvait toujours une excuse pour s’esquiver.

Elle tourbillonna pour tester la robe. Elle aurait cru avoir perdu ses réflexes. À présent qu’elle en portait de nouveau une, elle s’étonnait de retrouver si facilement ses habitudes – marcher d’un pas léger, se retourner de sorte que le bas de la robe s’évase très légèrement…

Elle s’arrêta. Le couturier avait cessé de lui donner des ordres. Il l’observait en silence, un sourire aux lèvres.

— Quoi ? demanda Vin en rougissant.

— Je suis désolé, milady, répondit-il en se retournant pour tapoter sur le carnet de son assistant et renvoyer le garçon d’un geste du doigt. Mais je crois bien n’avoir jamais vu personne bouger avec une telle grâce. Comme un… souffle de vent.

— Vous me flattez, dit Vin.

— Non, mon enfant, intervint Tindwyl qui se tenait sur le côté. Il a raison. Vous bougez avec une grâce que la plupart des femmes ne peuvent que vous envier.

Le couturier sourit de nouveau et se retourna tandis que son assistant approchait, muni d’une série d’échantillons de tissus de différentes couleurs. Le vieil homme entreprit de les parcourir d’une main flétrie et Vin s’avança vers Tindwyl, tenant les mains sur les côtés, s’efforçant de ne pas laisser cette robe traîtresse reprendre le contrôle d’elle.

— Pourquoi êtes-vous si gentille avec moi ? demanda Vin.

— Pourquoi ne devrais-je pas l’être ? rétorqua Tindwyl.

— Parce que vous êtes dure avec Elend. Ne dites pas le contraire : j’ai espionné vos leçons. Vous passez votre temps à l’insulter et à le déprécier. Mais maintenant, vous faites semblant d’être gentille.

Tindwyl sourit.

— Je ne fais pas semblant, mon enfant.

— Alors pourquoi êtes-vous si dure avec Elend ?

— Ce garçon a grandi dans la peau d’un fils de lord choyé par tous, répondit Tindwyl. Maintenant qu’il est roi, il a besoin d’un peu de vérité crue, je crois. (Elle marqua une pause et baissa les yeux vers Vin.) Et j’ai le sentiment que vous en avez déjà connu trop dans votre vie.

Le couturier approcha muni de ses échantillons qu’il déploya sur une table basse.

— Donc, milady, déclara-t-il en tapotant un jeu d’étoffes à l’aide d’un doigt recourbé. Je crois qu’un tissu sombre conviendrait mieux à votre teint. Un joli bordeaux par exemple ?

— Pourquoi pas du noir ? demanda Vin.

— Ah ça, non, dit Tindwyl. Hors de question que vous portiez du noir ou du gris, mon enfant.

— Et celui-ci, alors ? demanda Vin en tirant un échantillon bleu roi.

Il était pratiquement de la même nuance que la robe qu’elle portait la nuit de sa rencontre avec Elend, si longtemps auparavant.

— Ah, oui, approuva le couturier. Ce serait magnifique avec ce teint pâle et ces cheveux sombres. Hum, oui. Maintenant, nous allons devoir choisir un style. Il vous la faut pour demain soir, d’après la Terrisienne ?

Vin acquiesça.

— Bon. Dans ce cas, il va falloir modifier l’un des modèles exposés, mais il me semble en avoir une de cette couleur. Nous allons devoir pas mal la reprendre, mais nous pouvons travailler toute la nuit pour une beauté comme vous, n’est-ce pas, jeune homme ? Maintenant, pour ce qui est du style…

— Celui-là ne va pas trop mal, je dirais, répondit Vin en baissant les yeux.

La robe était de la même coupe standard que celles qu’elle avait portées aux bals.

— Mais nous ne cherchons pas quelque chose de « pas mal », n’est-ce pas ? dit le couturier avec le sourire.

— Et si nous retirions quelques-uns des jupons ? demanda Tindwyl en tirant sur un pan de la robe de Vin. Et si nous raccourcissions légèrement l’ourlet afin qu’elle puisse se déplacer plus librement ?

Vin hésita.

— Vous pourriez faire ça ?

— Bien sûr, répondit le couturier. Le jeune homme affirme que les jupes étroites sont plus populaires au sud, quoiqu’elles soient un peu démodées à Luthadel. (Il marqua une pause.) Cela dit, je ne suis pas sûr que Luthadel possède encore le moindre sens de la mode…

— Élargissez un peu les poignets, demanda Tindwyl. Et cousez quelques poches pour y ranger des effets personnels.

Le vieil homme hocha la tête tandis que son assistant griffonnait les suggestions sans un mot.

— Le torse et la taille peuvent être serrés, poursuivit Tindwyl, mais sans gêner le mouvement. Lady Vin doit être en mesure de bouger sans entraves.

Le vieil homme s’interrompit.

— Lady Vin ? demanda-t-il.

Il inspecta Vin de plus près, plissant les yeux, puis se tourna vers son assistant. Le garçon hocha la tête sans un mot.

— Je vois…, dit l’homme en pâlissant, et dont la main tremblait légèrement. (Il la posa au sommet de sa canne, comme pour s’assurer davantage de stabilité.) Je… Je suis désolé si je vous ai offensée, milady. Je ne savais pas.

Vin rougit de nouveau. Encore une raison pour laquelle je ne devrais pas aller faire de courses.

— Non, dit-elle pour le rassurer. Ne vous en faites pas. Vous ne m’avez pas offensée.

Il se détendit légèrement, et Vin remarqua que Spectre les rejoignait d’un pas vif.

— On dirait qu’on nous a découverts, annonça-t-il en désignant les fenêtres de devant.

Vin regarda au-delà des mannequins et des balles de tissu et vit une foule se rassembler à l’extérieur. Tindwyl observa Vin avec curiosité.

Spectre secoua la tête.

— Qu’est-ce qui te rend si populaire ?

— J’ai tué leur dieu, répondit calmement Vin qui se cacha derrière un mannequin pour fuir les regards de dizaines d’yeux inquisiteurs.

— J’y ai contribué aussi, répondit Spectre. C’est même Kelsier qui m’a donné mon surnom ! Mais tout le monde se fiche du pauvre petit Spectre.

Vin balaya la pièce du regard en quête de fenêtres. Il doit y avoir une porte de derrière. Mais évidemment, il se peut qu’il y ait aussi des gens dans la ruelle.

— Que faites-vous ? demanda Tindwyl.

— Il faut que je m’en aille, répondit Vin. Que je m’éloigne d’eux.

— Pourquoi ne pas sortir leur parler ? proposa Tindwyl. De toute évidence, ils ont très envie de vous voir.

Allrianne émergea d’une cabine – vêtue d’une robe jaune et bleu – et tourbillonna d’un air théâtral. Elle était visiblement contrariée d’avoir perdu l’attention de Spectre.

— Pas question que je sorte par là, répondit Vin. Pourquoi est-ce que je ferais ça ?

— Ils ont besoin d’espoir, dit Tindwyl. Et vous pouvez leur en donner.

— Un faux espoir, rétorqua Vin. Je ne ferais que les encourager à me voir comme un objet d’adoration.

— Ce n’est pas vrai, déclara soudain Allrianne qui s’avança et regarda par les fenêtres sans la moindre trace de gêne. Se cacher dans les coins, porter des habits étranges et jouer le mystère – c’est ça qui vous a valu cette incroyable réputation. Si les gens savaient à quel point vous êtes ordinaire, ils ne seraient pas aussi avides de vous regarder. (Elle s’interrompit, puis lui jeta un coup d’œil.) Je… hum, ce n’était pas vraiment ce que je voulais dire.

Vin rougit.

— Je ne suis pas Kelsier, Tindwyl. Je ne veux pas que les gens me vénèrent. Je veux juste qu’on me laisse tranquille.

— Certaines personnes n’ont pas ce choix, mon enfant, répondit Tindwyl. Vous avez vaincu le Seigneur Maître. Vous avez été formée par le Survivant, et vous êtes la conjointe du roi.

— Je ne suis pas sa conjointe, protesta Vin en rougissant. On est seulement…

Seigneur, même moi, je ne comprends pas notre relation. Comment suis-je censée l’expliquer ?

Tindwyl haussa un sourcil.

— D’accord, dit Vin en s’avançant avec un soupir.

— Je vous accompagne, lança Allrianne en la saisissant par le bras comme une amie d’enfance.

Vin résista, mais ne trouva aucun moyen de se dégager sans paraître faire d’histoires.

Elles sortirent de la boutique. La foule était déjà importante, et croissait à mesure que des gens de plus en plus nombreux venaient voir ce qui se passait. La plupart étaient des skaa vêtus de manteaux de travail marron tachés de cendre ou de robes grises très simples. Les premiers rangs reculèrent lorsque Vin sortit, dégageant un petit cercle autour d’elle, et un murmure d’excitation impressionnée traversa la foule.

— Waouh, dit Allrianne tout bas. Ce qu’ils sont nombreux…

Vin hocha la tête. OreSeur était toujours assis au même emplacement, près de la porte, et la regardait avec une curieuse expression canine.

Allrianne sourit à la foule, agitant la main avec une soudaine hésitation.

— Vous pourrez, vous savez, les repousser si jamais quelque chose tourne mal ?

— Ce ne sera pas nécessaire, répondit Vin, qui dégagea enfin son bras de la poigne d’Allrianne et apaisa légèrement la foule.

Après quoi elle s’avança, s’efforçant de contenir sa nervosité. Elle n’éprouvait plus comme avant le besoin de se cacher quand elle sortait en public, mais se tenir face à une foule comme celle-ci… Elle faillit faire demi-tour pour retourner se réfugier dans la boutique du couturier.

Toutefois, une voix l’arrêta. La personne qui venait de parler était un homme d’âge moyen à la barbe tachée de cendres, qui tenait nerveusement dans ses mains une casquette noire et sale. C’était un homme robuste, sans doute un ouvrier. Sa voix douce contrastait avec sa solide carrure.

— Dame Héritière, qu’allons-nous devenir ?

Il y avait dans la voix de cet homme une terreur – une incertitude – si pitoyable que Vin hésita. Il la regardait, comme la plupart des autres, avec des yeux pleins d’espoir.

Ce qu’ils sont nombreux, se dit Vin. Je croyais que l’Église du Survivant était minuscule. Elle regarda l’homme qui lui faisait face en tordant sa casquette. Elle ouvrit la bouche, mais… ne put s’y résoudre. Elle ne pouvait pas lui dire qu’elle ignorait ce qui allait se produire ; elle ne pouvait pas expliquer à ces yeux-là qu’elle n’était pas la sauveuse dont ils avaient besoin.

— Tout ira bien, s’entendit-elle déclarer, accentuant son Apaisement pour tenter d’estomper leur peur.

— Mais les armées, Dame Héritière ! insista l’une des femmes.

— Elles cherchent à nous intimider, répondit Vin. Mais le roi ne les laissera pas faire. Nos murs sont solides, tout comme nos soldats. Nous sommes capables de survivre à ce siège.

La foule garda le silence.

— L’une de ces armées est menée par le père d’Elend, Straff Venture, reprit Vin. Elend et moi allons rencontrer Straff demain. Nous allons le persuader d’être notre allié.

— Le roi va se rendre ! dit une voix. C’est ce que j’ai entendu dire. Céder la ville en échange de sa vie.

— Non, répondit Vin. Il ne ferait jamais ça !

— Il refuse de se battre pour nous ! lança une voix. Ce n’est pas un soldat. C’est un politicien !

D’autres voix acquiescèrent à grands cris. Toute révérence disparut tandis que des gens exprimaient tout haut leurs inquiétudes et que d’autres appelaient à l’aide. Les dissidents continuèrent à se répandre en injures contre Elend, hurlant qu’il était totalement incapable de les défendre.

Vin leva les mains vers ses oreilles. Pour tenter de se protéger de la foule, du chaos.

— Arrêtez ! hurla-t-elle, exerçant une violente Poussée de cuivre et d’acier.

Plusieurs personnes s’écartèrent d’elle en titubant, et elle vit une vague parcourir la foule tandis que boutons, pièces et boucles de ceintures se retrouvaient soudain repoussés vers l’arrière.

La foule se tut aussitôt.

— Je ne tolérerai pas qu’on parle en mal de notre roi ! s’écria Vin en attisant son laiton et en accentuant son Apaisement. C’est un homme bon, et un bon souverain. Il a sacrifié beaucoup de choses pour vous – votre liberté, vous la devez aux longues heures qu’il a passées à rédiger des lois, et vos revenus, au travail qu’il a accompli pour sécuriser les voies commerciales et développer les accords avec les commerçants.

Au sein de la foule, de nombreuses personnes baissèrent les yeux. Le barbu du premier rang continuait toutefois à tordre sa casquette en regardant Vin.

— Ils ont simplement peur, Dame Héritière, et à juste titre. Simplement peur.

— Nous allons vous protéger, répondit Vin. (Qu’est-ce que je raconte ?) Elend et moi, nous allons trouver un moyen. Nous avons arrêté le Seigneur Maître. Nous pouvons arrêter ces armées…

Elle laissa sa phrase en suspens, car elle se sentait soudain très bête.

Mais la foule y réagit. Certaines personnes n’étaient manifestement toujours pas satisfaites, mais beaucoup semblaient apaisées. La foule entreprit de se disperser, pourtant certains de ses membres s’avancèrent, menant ou portant de petits enfants. Vin hésita, nerveuse. Il arrivait souvent à Kelsier de rencontrer et de tenir les enfants des skaa, comme pour leur donner sa bénédiction. Elle fit hâtivement ses adieux au groupe et se réfugia de nouveau dans la boutique, entraînant Allrianne à sa suite.

Tindwyl, qui attendait à l’intérieur, hocha la tête d’un air satisfait.

— J’ai menti, dit Vin en fermant la porte.

— Pas du tout, répondit Tindwyl. Vous avez fait preuve d’optimisme. Quant à savoir si vos paroles relevaient de la réalité ou de la fiction, c’est encore à prouver.

— Ça ne se produira pas, dit Vin. Elend ne peut pas vaincre ces armées, même avec mon aide.

Tindwyl haussa un sourcil.

— Dans ce cas, vous feriez mieux de partir. De vous enfuir et de laisser le peuple affronter lui-même ces armées.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, répondit Vin.

— Eh bien alors, prenez une décision, dit Tindwyl. Choisissez d’abandonner la ville ou de croire en elle. Franchement, tous les deux…

Elle secoua la tête.

— Je croyais que vous ne deviez pas vous montrer dure avec moi, observa Vin.

— Parfois, j’ai du mal, répondit Tindwyl. Venez, Allrianne. Finissons vos essayages.

Elles s’apprêtèrent à le faire. Cependant, ce fut alors – comme pour nier les affirmations rassurantes de Vin – que plusieurs des tambours censés donner l’alarme résonnèrent au sommet du rempart de la ville.

Vin se figea et jeta un coup d’œil anxieux à travers la vitre, par-dessus la foule.

L’une des armées attaquait. Maudissant ce contretemps, elle se rua au fond de la boutique pour ôter sa robe volumineuse.

 

Elend monta tant bien que mal les marches menant au rempart et faillit trébucher sur sa canne de duel dans sa hâte. Il sortit de l’escalier en titubant et replaça la canne à son côté avec un juron.

Le chaos régnait sur le rempart. Les hommes couraient dans tous les sens, communiquant par cris. Certains avaient oublié leur armure, d’autres leur arc. L’escalier se retrouva encombré sous l’afflux des hommes cherchant à monter à la suite d’Elend, lequel les regarda, impuissant, s’entasser en bas aux entrées, créant un bouchon humain encore plus gros dans la cour.

Elend se retourna et vit un groupe d’hommes de Straff – au nombre de quelques milliers – se précipiter vers le mur. Il se tenait près de la Porte d’Étain, au nord de la ville, la plus proche de l’armée de Straff. Il voyait un groupe distinct de soldats se précipiter vers la Porte de Potin, un peu plus à l’est.

— Archers ! hurla Elend. Mes hommes, où sont vos arcs ?

Mais sa voix se noya parmi les cris. Des capitaines s’affairaient, s’efforçant d’organiser leurs hommes, mais des fantassins s’étaient rué vers le rempart en trop grand nombre, laissant de nombreux archers coincés en bas dans la cour.

Mais pourquoi ? se demanda Elend, paniqué, tout en se retournant vers l’armée en train de charger. Pourquoi est-ce qu’il attaque ? Nous étions convenus de nous rencontrer !

Avait-il eu vent du plan d’Elend consistant à jouer double jeu ? Peut-être y avait-il réellement un espion au sein de la bande.

Quoi qu’il en soit, Elend ne put que regarder, dépassé, l’armée approcher de son rempart. L’un des capitaines parvint à faire tirer une pitoyable volée de flèches, qui n’eut guère d’effets. Tandis que l’armée approchait, des flèches mêlées de pièces se mirent à voler en sifflant vers le mur. Straff avait des allomanciens à l’intérieur du groupe.

Avec un juron, Elend se baissa sous un merlon tandis que des pièces rebondissaient contre la pierre. Quelques soldats tombèrent. Ceux d’Elend. Tués parce qu’il avait été trop fier pour céder la ville.

Il jeta un coup d’œil prudent par-dessus le mur. Un groupe muni d’un bélier approchait, soigneusement protégé par des hommes porteurs de boucliers. Cette précaution les désignait sans doute comme des Cogneurs, soupçon confirmé par le bruit que fit le bélier quand on le projeta contre la porte. Ce n’était pas là un coup porté par des hommes ordinaires.

Suivirent les grappins. Projetés vers le mur par des Lance-pièces placés en bas, ils atterrirent avec une précision bien plus grande que s’ils avaient été lancés par des moyens communs. Des soldats s’empressèrent d’aller les retirer, mais des pièces jaillies d’en bas les terrassèrent presque aussitôt. La porte continuait à résonner en dessous d’eux, et il était peu probable qu’elle résiste encore longtemps.

Nous voici vaincus, songea Elend. En ayant à peine résisté.

Il ne pouvait strictement rien y faire. Il se sentait impuissant, contraint de se baisser constamment pour éviter que son uniforme blanc le désigne comme une cible. Toutes ses manœuvres politiques, tous ses préparatifs, tous ses rêves et projets. Anéantis.

Puis Vin apparut. Elle atterrit au sommet du mur, haletante, au cœur d’un groupe de blessés. Les pièces et flèches qui passaient près d’elle se retrouvaient déviées dans les airs. Des hommes se rassemblèrent autour d’elle, s’affairant à retirer les grappins et tirer les blessés à l’abri. À l’aide de ses couteaux, elle coupa des cordes qu’elle laissa retomber en bas. Elle croisa le regard d’Elend où elle lut un éclat déterminé, puis fit mine de bondir par-dessus le mur pour affronter les Cogneurs au bélier.

Elend leva la main, mais ce fut quelqu’un d’autre qui prit la parole.

— Vin, attends ! hurla Clampin en déboulant de l’escalier à toute allure.

Elle s’arrêta. Elend n’avait jamais entendu un ordre aussi énergique de la part du général au corps noueux.

Les flèches cessèrent de voler. Les coups se calmèrent. Elend, hésitant et songeur, regarda l’armée se retirer vers son camp à travers les champs couverts de cendres. Elle laissa derrière elle une poignée de cadavres ; les hommes d’Elend étaient parvenus à en atteindre quelques-uns à l’aide de leurs flèches. Sa propre armée avait subi des pertes bien plus lourdes : une vingtaine d’hommes paraissaient blessés.

— Qu’est-ce qui… ? demanda Elend en se tournant vers Clampin.

— Il n’y avait pas d’échelles, expliqua Clampin en regardant l’armée se retirer. Ce n’était pas une véritable attaque.

— Alors qu’est-ce que c’était ? demanda Vin, sourcils froncés.

— Un test, répondit Clampin. C’est une pratique courante en matière de guerre – une brève escarmouche pour vérifier comment réagit l’ennemi, pour jauger sa tactique et sa préparation.

Elend se retourna et regarda les soldats désorganisés céder la place pour que les soigneurs puissent s’occuper des blessés.

— Un test, répéta-t-il en regardant Clampin. J’imagine que nous ne nous en sommes pas très bien sortis.

Clampin haussa les épaules.

— Bien moins que nous n’aurions dû. Peut-être que ça va suffisamment effrayer les gars pour qu’ils se montrent un peu plus attentifs pendant les exercices.

Il s’interrompit, et Elend perçut quelque chose qu’il n’exprimait pas. L’inquiétude.

Elend jeta un coup d’œil par-dessus le mur pour regarder l’armée se retirer. Soudain, il comprit. C’était exactement le genre de manœuvre qu’appréciait son père.

La rencontre avec Straff se déroulerait comme prévu. Mais avant qu’elle ait lieu, il voulait qu’Elend sache quelque chose.

Je peux prendre cette ville quand je le veux, semblait signifier cet assaut. Elle est à moi, quoi que tu fasses. Ne l’oublie jamais.

Le puits de l'ascension
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